Aujourd’hui, le rêve reste un des rares territoires magiques qui, comme son nom l’indique, peut faire rêver.
Telle l’Atlantide ou un autre monde lointain, il attire les derniers explorateurs avides d’inconnu, spéculateurs de la psyché, rêveurs d’un ailleurs meilleur, illusionnistes ou désillusionnés, magiciens en quête de toute-puissance, mais aussi les chercheurs à la pointe de la technologie.
Si l’on écrit toujours des clefs des songes, on scanne aussi maintenant le cerveau avec des électrodes pour capter ses impulsions oniriques, les mesurer, les répertorier et les enregistrer (une équipe de neurologues et d’informaticiens japonais du laboratoire ATR Computational Neuroscience sous la direction de Yukiyasu Kamitani serait parvenue à concevoir un dispositif capable de deviner la nature des images visualisées par une personne en train de rêver), ou de stimuler certaines zones du cerveau pour modifier le contenu du rêve (travaux d’une équipe de neurologues allemands sous la direction d’Ursula Voss). Une neurologue française – comme le sérieux banquier du Petit Prince qui compte laborieusement les étoiles – est même payée pour recenser et comptabiliser le type d’images produites pendant les rêves…
Bref, la science s’empare du rêve bioélectrique et le décortique pour tenter de le maîtriser face à un public avide de merveilleux technologique, de fantastique et d’inconscience-fiction. Nul doute qu’un jour on puisse contrôler les rêves ou les stimuler pour que les machines nous fassent retourner dans la matrice (Matrix).
Sans être hostile à ces recherches – je suis moi-même avide de merveilleux et de technologie – trop d’investigations et de spéculations autour du rêve peuvent décrédibiliser une étude précise de son langage. En effet, quel impact peut avoir une méthode sérieuse de déchiffrage du rêve quand elle est noyée parmi tant de propositions d’interprétation et de divergences de points de vue sur ses fonctions ?
Les ouvrages anciens qui tentent de décrypter les rêves et d’en donner les clefs, de l’antiquité jusqu’au XIXème, sont pléthores, chacun proposant sa grille de lecture ou son regard spécifique. Nous avons ainsi accès à une littérature historique profuse et riche, or, si parfois certains fondements se recoupent, les divergences de décodage de son langage empêchent de synthétiser un sens d’interprétation précis, clair et univoque, nécessaire dans un premier regard sur le rêve.
La littérature contemporaine onirique qui répond à une demande toujours fervente n’offre pas vraiment plus de cohérence dans ses nouvelles déclinaisons. Mais qu’importe ! Le public est avide de rêves et d’enchantements et chaque nouvelle parution est l’occasion d’articles et de questionnements qui, s’ils donnent l’impression de nouveautés et d’avancées, laissent souvent le chercheur de vérité sur sa faim et chacun n’est pas plus éclairé. Pire encore, certaines parutions qui se réclament d’être une nouvelle façon d’interpréter le rêve ne sont que des resucées d’idées millénaires et nébuleuses ramenant le rêve à une fonction de prédiction. Le rêve véhicule toujours une aura magique et, dans cet esprit, porte certains oublieux du sens critique à aimer se faire enfumer par des bonimenteurs patentés.
Pourtant, le grand Freud n’a-t-il pas défini les règles et usage de l’interprétation du rêve il y a maintenant plus de cent ans ? Ce n’est pas si évident que ça. À y bien regarder, il n’y a pas réellement de structure tout au long de son épais ouvrage. L’essentiel de l’investigation du grand homme est axée sur la recherche des causes générant le rêve dans une étiologie principalement sexuelle. Cette observation est exhaustive, allant de l’événement de la veille qui peut se rattacher à un souvenir d’enfance, jusqu’au déclencheur somatique, c’est-à-dire les perceptions corporelles pendant le sommeil. Cette mise en perspective des liens causals, tout aussi riche soit-elle, est assez laborieuse, pour ne pas dire souvent fastidieuse et Freud analyse et n’en finit pas d’analyser ses propres rêves sans nous fournir une clef d’interprétation thérapeutique. La lecture de l’ouvrage en devient ainsi ennuyeuse, sauf si on s’intéresse à la vie secrète et libidinale du grand homme (1), à ses fantasmes et à ses furoncles. Certes, son analyse lui permet de développer ses théories quant au complexe d’Œdipe, de la libido, de la castration, de l’accomplissement des pulsions, de l’hypermnésie, du principe de réalité, du refoulement et de l’application des mécanismes de l’Inconscient dans sa deuxième topique. Si ses théories voisinent souvent avec le génie (2), son Interprétation du rêve ne culmine pas sur les mêmes sommets. C’est à se demander pourquoi cet ouvrage est le plus connu et pourquoi il a suscité autant d’engouement et autant de nouvelles éditions ? Il n’y a aucun esprit de synthèse et de méthode au fil des pages et, si le père de la psychanalyse suggère un contenu latent au travers du contenu manifeste du rêve, celui-ci reste cantonné aux associations du rêveur, sans recourir à la symboliques universelle, très signifiante. De surcroît, il est souvent illisible, confus et peu pédagogue. Certaines interprétations volent au ras des pâquerettes avec un sens obsessionnel très limité et horizontal. Même sur le plan de la libido, il ne va pas assez loin. Il analyse, il analyse, sans produire d’interprétation percutante, révélatrice et synthétique. Si Freud est l’inventeur de la psychanalyse, il n’est pas celui de la psychosynthèse. Bref, le message n’est qu’analytique, souvent alambiqué et tortueux pour être raccord avec sa grille de lecture. Il est aussi émaillé de phrases ampoulées et trop complexes pour en saisir le sens, pouvant ainsi enfumer le lecteur qui pourrait confondre embrouillage avec décodage, désireux au fond de lui qu’on le fasse rêver.
Jung, quant à lui, a produit trois ouvrages sur l’interprétation des rêves, mais malheureusement, ce ne sont que des retranscriptions de conférences-dialogues entre le maître et les disciples. Si son approche du rêve et de sa structure offre une dimension bien plus large que celle de Freud, l’aspect trop magique – qui correspond à une demande de son public – vient souvent altérer la valeur thérapeutique de l’interprétation du rêve. Paradoxalement, Jung pense aussi que le rêve n’a pas besoin d’être interprété, qu’il a une fonction interne, délivrant un message de connexion entre les couches les plus profondes de l’Inconscient et du Conscient, porteur du message de l’identité fondamentale de l’individu. Certes, Jung est un homme cultivé, capable de faire des analogies et des correspondances avec différentes formes symboliques au travers des cultures et des âges, mais celles-ci nous éloignent souvent d’une rigueur thérapeutique. Trop de spirituel et d’exotisme confinent vers le magique et, encore une fois, vers l’enfumage.
Dans un désir d’enchantement, il apparaît qu’une partie de chacun de nous ait une prédisposition à se faire mystifier. Le rêve, ses images et ses possibles interprétations nourrissent la propension au flou artistique et au besoin de s’échapper de la réalité. La tradition et l’actualité autour du rêve viennent combler ce besoin. Le rêve se révèle être donc le support privilégié de cette inclination humaine, aussi, proposer une méthode rationnelle de lecture du rêve venant démystifier les images oniriques pour leur donner un sens concret, ne correspond pas forcément aux desiderata et aspirations secrètes du public, les profanes en la matière. Il subsiste tant de croyances dans l’esprit de chacun autour du rêve, allant du déni total de tout sens, jusqu’à la foi la plus totale en son pouvoir d’éveil, qu’une approche rationnelle de ce phénomène va se heurter aux résistances profondes de chacun. Du côté des professionnels de la psyché, bon nombre va réagir de la même manière, chacun voulant préserver son pré carré, ses acquis, ses constructions personnelles et son pouvoir. Chacun veut finalement protéger ses rêves et continuer de rêver autour du rêve.
“L’INTERPRÉTATION PSYCHANALYTIQUE DES RÊVES” apparaît alors comme une mécanique à dérêver par son pragmatisme et ses réponses concrètes. La première des approches que je propose est psychanalytique (sans être trop analytique) et va donc révéler les attachements et conflits parentaux qui, s’ils subsistaient, interfèreraient avec le développement individuel. Tant que les problèmes relationnels basiques papa/maman ne sont pas résolus, tout du moins aperçus et compris, il demeure une propension à stagner, à rejouer les mêmes schémas inconscients et donc, à projeter ses névroses dans nos relations sociales ou affectives. Ah, oui, ça ne fait pas rêver de renouer avec ce passé parfois douloureux ou triste et souvent idéalisé, paradoxalement ! Une définition claire et structurée, révélatrice du langage du rêve va se heurter alors à toutes ces résistances intrinsèques à la psyché humaine.
Oui, le langage du rêve est cohérent, oui il est stable et signifiant, capable de révéler tous nos blocages et potentiels. Oui, son langage peut s’apprendre et offrir ainsi un outil thérapeutique rapide et efficace. Oui, le rêve est porteur de nombreuses dimensions, de tous les possibles, mais avant d’entrer dans des dimensions de révélations irrationnelles, spirituelles ou prémonitoires, chacun a besoin de se débarrasser des scories du passé qui encombrent son Inconscient personnel acquis. C’est ici que la dimension d’interprétation psychanalytique du rêve s’impose. En désencombrant et nettoyant ainsi le psychisme et l’esprit, l’interprétation accélère les processus d’éveils personnels vers lesquels chacun tend. Elle permet à chacun de se réaliser et d’aller vers un éveil plus universel, une communication harmonieuse avec le monde et pour certains qui y aspireraient, un véritable éveil spirituel.
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(1) Tout du moins ce qu’il veut bien nous livrer, car il écrit dans le § IV de la partie L’infantile comme source de rêve : « Cela étant, dans l’interprétation de mes propres rêves que je n’entreprends pourtant pas en raison de symptômes pathologiques massifs… » (Sic, comme dirait Onfray.)
(2) Même si Freud est un collecteur des idées de son temps.